Du gouvernement Harper, nous avons hérité du dilemme de la nécessité d’adopter une solide stratégie sur le climat jumelée à une solide stratégie sur l’énergie. Nous avons 10 ans de retard dans ce domaine.
Les pertes ont commencé à s’accumuler dès le printemps 2006, lorsque le nouveau gouvernement conservateur minoritaire a annulé tous les éléments du plan de l’administration Martin sur les changements climatiques. Ce plan de 2005 date d’il y a si longtemps que de nombreuses personnes ont oublié qu’il a existé, à plus forte raison qu’il nous aurait rapprochés de notre objectif de Kyoto, soit 6 % sous les niveaux de 1990 avant 2012. Le nouvel objectif du gouvernement Harper a été dévoilé par sa toute première ministre de l’Environnement, Rona Ambrose, lors de la séance du printemps 2006 de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCNUCC). Le Canada a été le premier pays à miner le cadre d’action mondial en répudiant l’Accord de Kyoto et en abandonnant l’année de référence de 1990, pourtant adoptée par tous les signataires. Mme Ambrose a annoncé que le Canada réduirait ses émissions de 20 % sous les niveaux de 2006 avant 2020.
En modifiant les éléments de référence et en jouant avec les chiffres, notre ancien premier ministre a utilisé les cibles de la même manière qu’un amuseur de foule fait des tours de passe-passe pour berner les passants. Si l’on rétablit les données en fonction de l’année de référence que les autres pays utilisent, les objectifs du Canada fixés en 2006 nous auraient menés à des taux d’émission supérieurs à ceux de 1990 avant 2020. Toutefois, le simple fait de fixer un objectif ne signifie pas que les conservateurs comptaient l’atteindre. Vu l’absence de mesures pour réduire les émissions et la priorité absolue accordée à la croissance de la production des sables bitumineux, il n’est pas surprenant que les émissions du Canada n’ont fait que grimper. Et ces émissions ont continué de s’accroître malgré toutes sortes d’annonces : le plan « Prendre le virage » annoncé en grande pompe par John Baird; les promesses répétées d’adoption de règlements qui ne se sont jamais concrétisées; la rengaine « nous attendons Obama avant d’agir »; l’approche sectorielle de Peter Kent… Ce sont tous là des manèges de relations publiques déguisés en politique sur le climat.
Les émissions du Canada ont bel et bien diminué en 2008-2009, mais il faut pour cela remercier la crise financière mondiale. M. Harper s’en est attribué le mérite. Lorsqu’il s’est présenté aux négociations de 2009 de la CCNUCC à Copenhague, il a de nouveau atténué notre cible. Cette fois, l’année de référence retenue était 2005 pour suivre l’approche américaine. Comme par hasard, on avait enregistré cette année-là des émissions particulièrement élevées (plus élevées qu’en 2006). À la conclusion de la convention de Copenhague, M. Harper se retrouvait avec ce que l’on a qualifié de simple « obligation politique » de réduire les émissions à 17 % sous les émissions de 2005 avant 2020. Il s’agissait de la même cible établie par les États‑Unis; cependant, M. Obama arrivera à atteindre cet objectif alors que le Canada le ratera encore une fois. Malgré les efforts déployés par les provinces, plus particulièrement en Ontario, qui a procédé à la fermeture de ses centrales au charbon, le Canada, au sortir de la récession, s’est remis à enregistrer une hausse de ses émissions. En mai 2015, le gouvernement précédent a encore une fois affaibli la cible, proposant aux Nations Unies la cible la plus faible du G7, soit 30 % sous les émissions de 2005 d’ici 2030.
Sous le gouvernement de M. Trudeau, le Canada a fait preuve de leadership à Paris. Nous figurons parmi les premiers pays industrialisés à avoir appuyé l’objectif à long terme consistant à maintenir les températures planétaires moyennes à au plus 1,5 degré Celsius au-dessus des températures enregistrées avant la révolution industrielle. C’est cet objectif qui a été adopté dans l’Accord de Paris. Il représente le seuil de risque acceptable pour que les États insulaires de faible élévation ne soient pas engloutis par les eaux. Il s’agit du niveau maximal nous donnant de bonnes probabilités d’éviter la fonte de la couverture de glace du Groenland et l’élévation du niveau de la mer de 7 à 8 mètres qui s’ensuivrait. Cependant, au cours des négociations de Paris, la CCNUCC a déterminé que les engagements pris (nommés « contributions formulées à l’échelle nationale »), s’ils se concrétisent tous, mèneraient à une augmentation de 2,7 à 3,5 degrés Celsius. Le double du seuil sécuritaire.
Contrairement à Kyoto, les objectifs ne sont pas intégrés à l’Accord de Paris. Essentiellement, l’Accord prévoit que les objectifs peuvent être modifiés à tout moment, mais seulement pour des cibles plus strictes. Il s’agit du principe du resserrement progressif. Le Canada doit abandonner la cible établie par M. Harper et en proposer une nouvelle sous peu. Nous devons resserrer notre objectif pour montrer l’exemple aux autres États.
Quelles leçons pouvons-nous tirer de nos dix années de retard? Certains diraient que nous avons la preuve que l’établissement d’objectifs ne produit aucun résultat. Toutefois, la plupart des pays signataires de l’Accord de Kyoto ont atteint ou même dépassé leurs cibles. L’objectif de l’Union européenne est fixé à 40 % sous les émissions de 1990 d’ici 2030. Elle l’atteindra. La Norvège s’est donné le même objectif. Elle l’atteindra. L’Écosse atteindra 40 % des émissions de 1990 avant 2020.
Certaines personnes estiment que la réduction des émissions du Canada n’aura aucun effet dans le contexte planétaire. Mais nous figurons parmi les 10 États produisant le plus d’émissions et parmi les trois États ayant les plus fortes émissions par habitant. Nous devons contribuer aux efforts mondiaux et rattraper notre retard.
La source du problème n’était pas les objectifs fixés. La source du problème était notre premier ministre. M. Trudeau a pour défi de ne pas perdre des yeux le véritable objectif : faire en sorte que nos enfants n’héritent pas d’un monde inhabitable. Il est temps de resserrer nos objectifs.