Personne ne s'y attendait. La 15e séance de la Conférence des Parties (CdP15) de Copenhague était un tel désastre – les négociations avaient complètement déraillé. La Conférence était empoisonnée par la mauvaise foi. Dès le deuxième jour, une fuite révélait qu’un accord provisoire était prêt; un accord préparé en secret par la « présidence ». Dans le langage de l’ONU, la « présidence » est le ministre de l’Environnement (habituellement) du gouvernement hôte secondé par le « secrétariat », soit le personnel permanent de l’ONU pour la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Le texte rédigé par le Danemark entendait tuer le Protocole de Kyoto pour le remplacer par un régime moins onéreux. Il a engendré une atmosphère de méfiance qui a empoisonné tout le sommet. La Conférence a été le théâtre d’abus, graves et moins graves. Les délégués ont souvent été obligés de faire la file pendant des heures dans des températures glaciales, la logistique était impossible à naviguer et les « réunions secrètes » ainsi que les regroupements « élitistes » n’ont eu de cesse de miner la transparence et la bonne foi requises dans ce genre de négociations multilatérales. L’ultime humiliation fut la rencontre « aux enjeux élevés » organisée par Barack Obama « sur invitation seulement » avec une poignée de nations. Le résultat, décrit comme « politiquement contraignant », fut le soi-disant Accord de Copenhague. En fait, il n’y avait aucun engagement juridiquement contraignant et la première ébauche permettait à de nombreux pays de remplir les cases en blanc à une date ultérieure – « réduire de X % d’ici l’année X. »
Malgré tout le tapage médiatique qui entourait le document, l’Accord de Copenhague n'était pas une décision de la CdP 15, mais il a portait un coup dur aux seuls engagements juridiquement contraignants, ceux du Protocole de Kyoto.
Après la CdP 15 de Copenhague, le mouvement pour la lutte contre les changements climatiques et la diplomatie internationale en faveur de l’action climatique sombrèrent dans la dépression. Personne ne croyait réellement que la CdP 16 de Cancún produirait quoi que ce soit de concret. Pire, tout le monde croyait que le multilatéralisme était mort. Certains avançaient même que d’autres tribunes, comme le G-20, seraient mieux placées pour traiter la question climatique au lieu des 192 nations du système onusien.
Au début de la conférence de Cancún, tout le monde s’attendait à un désastre. Le gouvernement japonais a d’ailleurs porté un coup dur au processus en annonçant d’entrée de jeu qu’il ne participerait pas à une seconde période d’engagement aux termes du Protocole de Kyoto. Dans l’optique où Kyoto était, de toute évidence, l’enfant chéri du Japon, cela constituait un sérieux handicap. Puis les médias rapportèrent que la Russie et le Canada partageaient cet avis. Les pays en développement étaient cependant catégoriques : à défaut de prolonger Kyoto, ils se retiraient des négociations.
Pendant ce temps, les installations et le lieu choisis semblaient voués à l'échec. La Conférence se déroulait dans une station touristique étrange nommée Moon Palace (Palais lunaire), tandis que le centre d’exposition et les activités périphériques se déroulaient ailleurs (dans un endroit qui ressemblait étrangement à un alignement de garages géants) appelé Cancún Messe (le mot « mess » en anglais, phonétiquement identique, signifiant « désordre »). Plusieurs autres événements se déroulaient éparpillés dans le désordre environnemental qu’est devenue la station touristique de Cancún. Pour faire n’importe quel circuit d’autobus, il fallait avoir en poche le laissez-passer spécial de la CdP 16. Un autobus transportait les délégués d’une multitude d’hôtels à Cancún Messe, où ils franchissaient le cordon de sécurité, traversaient l’édifice puis embarquaient sur un second autobus à destination du Moon Palace. Le trajet prenait environ une heure. Pour atteindre la salle des médias, il fallait ajouter un autre circuit d'autobus. Contrairement à Copenhague, nous ne risquions pas de geler dehors, mais sinon, tout laissait présager que cette conférence serait un échec.
Que s’est-il passé?
La présidence de la CdP 16, la ministre mexicaine des Affaires étrangères Patricia Espinosa, et son équipe ont travaillé sans relâche. Leur défi, de taille, avait moins à voir avec les questions litigieuses qu’avec la nécessité d’entreprendre un travail de thérapie de groupe. Il fallait absolument rebâtir la confiance. Espinosa avait promis qu’il n’y aurait pas de texte-surprise émanant du Mexique. Elle s’est engagée à abolir les réunions secrètes. Elle a établi des règlements pour les ministres afin de s’assurer qu’ils ne se pointeraient pas à la rencontre (la séance de haut niveau qui commençait mardi) en s’attendant à tenir des rencontres exclusives. Elle s’est engagée à faire régner la transparence et l’inclusivité. La présidence a respecté tous ses engagements, l’un après l’autre.
L’ambiance s’est peu à peu détendue. Une séance plénière convoquée pour prendre le pouls des diplomates présents a semblé particulièrement cathartique. Dimanche, à mi-chemin du processus de négociation, la chef de la délégation colombienne a parlé de « l’éléphant dans la pièce » qu’elle a décrit comme étant le fantôme de Copenhague. L’une après l’autre, les délégations ont parlé de la nécessité de rétablir la confiance. Quoi qu’il en soit, comment serait-il possible de prolonger Kyoto alors que le Japon, la Russie et le Canada tentaient de lui porter le coup fatal?
Les nations ont été réparties en petits groupes de travail pour tenter de régler les questions clés. Chaque groupe était coprésidé par une nation en développement et une nation industrialisée, nommées et jumelées par Espinosa. Elle a également rappelé que chaque groupe de travail devait demeurer ouvert à toutes les nations. Les négociations se dérouleraient sous le signe de la transparence. Les questions épineuses, celles ayant trait au Protocole de Kyoto et à l’action concertée à long terme (ACL) au titre de la CCNUCC, avaient été attribuées au groupe de travail coprésidé par le Royaume-Uni et le Brésil. Les négociations furent ardues. Des plénières informelles furent convoquées régulièrement pour connaître l’état d’avancement es négociations – ou l’absence de progrès. Il devint vite évident que l’Inde et la Chine faisaient preuve d’une souplesse sans précédent.
Jeudi, un nouveau texte provisoire fut distribué. Il était basé sur un consensus de 50 pays avec la contribution de pratiquement toutes les 192 nations présentes. Contrairement au processus habituel pour les documents onusiens, il ne s’agissait pas d’un document officiel de la CdP. Il s’agissait plutôt d’une tentative de la part de la présidence pour dégager un consensus. Mais la présidence a insisté pour dire que ce n’était pas un texte mexicain. Après avoir donné quelques heures aux pays pour examiner le document, elle a convoqué brièvement les parties avant 18 h. Sans que le texte ait été débattu, ni même approuvé officiellement, les parties offrirent une ovation spontanée et acclamée pour la présidence mexicaine. L’espoir était revenu. Espinosa a demandé aux groupes de travail de poursuivre leurs négociations et aux Parties de revenir plus tard.
La nouvelle se répandait que le Japon n’insisterait pas pour bloquer un renvoi à une seconde période d’engagement aux termes de Kyoto. La rumeur voulait que Ban Ki-moon ait téléphoné au premier ministre du Japon pour lui en glisser mot. Avvaz avait acheté de pleines pages de publicité demandant au Japon de venir en aide à Kyoto. Puisque le Canada n’était pas prêt à devenir le seul pays à faire obstacle à Kyoto, un accord semblait désormais possible.
Les Parties sont revenues en plénière à 21 h. Lorsque Patricia Espinosa s’est approchée de la table, toute la salle, avec ses milliers de participants, s’est levée pour lui offrir une seconde ovation. Elle était de toute évidence très touchée par cet hommage. Il y a eu une commotion à la porte où des gens frappaient pour entrer dans la salle. Les gardiens de sécurité avaient fermé les portes de la plénière et interdisaient à quiconque d’entrer. La salle était bondée, mais un certain nombre de délégués étaient toujours dehors, tout comme des centaines de représentants de la société civile. Espinosa s’est approchée du micro pour expliquer que la salle, pleine à craquer, était dotée d’un système de télévision en circuit fermé, mais qu’elle avait demandé au secrétariat des Nations Unies de demander à la sécurité de faire une entorse à la règle en permettant à tout le monde d’entrer dans la salle. Une demi-heure plus tard, des gens étaient debout, assis sur le sol, et chaque centimètre de tapis était conquis. L’ambiance qui régnait dans la salle était électrisante. Personne n’ignorait que la Bolivie comptait s’opposer. Mais refuser de saisir l’occasion de progrès offerte par ce nouveau document serait dévastateur.
Lorsque la présidence a rouvert la séance, elle fut accueillie par une nouvelle ovation. Ce que les délégations et les ONG voulaient par-dessus tout était de faire savoir à tous les pays que ces accords devaient encore être approuvés. L’avenir du multilatéralisme était en jeu. Mais plus important encore, l’espoir, si mince fût-il, que les gouvernements agissent à temps pour éviter l’emballement du réchauffement climatique était également au cœur des enjeux.
À 3 h 30, le texte provisoire était devenu la décision de la CdP 16, désormais connue sous le nom d’Accords de Cancún. (Un compte-rendu détaillé de cette plénière est offert dans mon blogue.)
Qu'est-ce qui a été décidé?
Les documents comme tels n’obligent aucun gouvernement à prendre de nouvelles mesures. Ils sont plutôt là pour jeter des bases solides afin de parvenir à un accord à la CdP 17 l’an prochain, à Durban, en Afrique du Sud.
Le langage est fort et sans équivoque. Dans la décision sur l’ACL, il est stipulé que « le changement climatique représente une menace urgente et éventuellement irréversible pour les sociétés humaines et pour toute la planète et, par conséquent, doit être considéré une priorité pour toutes les Parties. »
Les décisions confirment la probité de la science et des recommandations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Elles engagent les Parties à trouver des solutions pour limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à 2 degrés Celsius, mais recommandent fortement d'abaisser ce seuil à 1,5 degré Celsius. Pour la première fois de l’histoire, une décision onusienne mandatait toutes les nations de déterminer immédiatement l’année où les émissions de gaz à effet de serre devraient atteindre leur sommet puis entreprendre leur déclin. Ces décisions stipulent que toutes les parties acceptent que « toutes les Parties collaborent pour atteindre le sommet des émissions de gaz à effet de serre planétaires et nationales dans les meilleurs délais possibles. » Elles demandent en outre aux pays industrialisés de réduire leurs émissions de 25 à 40 % sous les niveaux de 1990 d’ici 2020.
Enfin, les documents notent que « la lutte contre les changements climatiques devra s’appuyer sur un changement de paradigme axé sur le développement d’une société faible en carbone qui offre des possibilités substantielles... »
Ils s’attardent longuement sur le besoin d’adaptation (création d’un Cadre d’adaptation de Cancún et d’un Comité d’adaptation), le besoin de financement (création d’un Fonds vert pour le climat) et la nécessité de lutter contre la déforestation. Les accords contiennent de nombreux éléments détaillés. Certes, ces documents sont loin d’être parfaits. Bon nombre de pays furent déçus de constater que la capture et le stockage de CO2 avaient été ajoutés à la liste des technologies acceptables dans le cadre du mécanisme pour le développement propre.
Les accords contenaient cependant des éléments nouveaux et heureux, dont le passage reconnaissant l’importance de respecter les droits de la personne dans la mise en œuvre de la politique climatique, le respect des peuples indigènes, des femmes et de la problématique homme-femme. Ils représentaient une victoire sans équivoque pour le droit du travail puisqu’ils mentionnaient la nécessité d’instaurer une « transition équilibrée. » Les villes et les gouvernements infranationaux venaient enfin de se voir attribuer le mérite qui leur revient en qualité de partenaires.
Qu’est-ce que ça signifie?
Cela signifie que Kyoto est toujours vivant, bien que les Parties n’aient pris aucun engagement pour son prolongement lorsque la première période d’engagement arrivera à échéance en 2012. Cela signifie seulement qu’il pourrait y avoir une seconde période d’engagement. L’encadrement des engagements volontaires de l’Accord de Copenhague pourrait se faire dans le texte de l’ACL, mais les engagements de l’Accord de Copenhague demeurent ridiculement bas. Voilà pourquoi un passage réclame notamment des pays industrialisés qu’ils « augmentent leur niveau d’ambition » à l’égard de leurs engagements.
Ainsi, lors de la CdP 17 prévue à Durban, nous devrons trouver un moyen de soit poursuivre ce processus à deux vitesses (Kyoto et CCUNCC), soit les fusionner en un seul accord.
Quels sont les moyens à la portée des Canadiennes et des Canadiens?
Pour la quatrième année de file, notre gouvernement remporte le Fossile colossal de l’année pour avoir été la nation faisant le plus obstacle aux négociations. Avant Durban, nous devrons changer la position de notre gouvernement ou remplacer notre gouvernement. Si le Canada acceptait une seconde période d’engagement aux termes de Kyoto, même avec des cibles moins ambitieuses, cela pourrait faire pencher la balance en faveur du prolongement de Kyoto. Cela aiderait certainement l’Union européenne, les États insulaires de faible altitude et les nations africaines les moins développées dans leur plaidoyer pour faire accepter une seconde période d’engagement.
Le fait est que le temps presse. Au cours des douze prochains mois, nous devrons saisir les petites lueurs d’espoir allumées par Cancún. Nous devrons mobiliser la société pour insister sur la prise d’actions concrètes en vue de concrétiser les paroles et le cadre des Accords de Cancún.