le Parti vert d’Australie

Elizabeth May

Avec les nouvelles excitantes qui nous parviennent d’Australie, on pourrait croire que le Parti vert d’Australie serait au moins pris au sérieux. De manière plutôt surprenante, l’émission The National animée par Peter Mansbridge sur les ondes de la CBC rapportait que Julia Gillard avait improvisé un gouvernement grâce aux indépendants. Aucune mention des verts. Aux nouvelles de 18 h sur CBC Radio, l’histoire avait été rectifiée et mentionnait le rôle clé joué par les verts. Puis, quatre heures plus tard, CBC avait à nouveau perdu les verts.

Pendant ce temps, le National Post publiait une tirade de Kelly McParland attaquant les verts – d’Australie et d’ici :

[Traduction]

« D’après The Guardian, un autre quotidien britannique (les quotidiens britanniques sont toujours plus divertissants que les autres, parce qu’ils fabriquent des faits), “une vague de popularité a permis au mouvement environnemental d’acquérir une présence parlementaire sans précédent en Australie cette année, certains allant même jusqu’à suggérer que l’électorat avait voulu punir les partis traditionnels pour avoir manqué de fermeté dans le dossier des changements climatiques.”

De grâce! Depuis quand un seul siège est-il une “vague de popularité” qui se traduit par “une présence parlementaire sans précédent”? Qui écrit ces choses, Elizabeth May? Vous pouvez certainement imaginer dans quel état d’excitation Mme May doit se trouver. Parce que, vous savez ...et si la même chose se produisait au Canada et que Mme May réussissait contre toute attente à se faire élire, et que le Bloc et le NPD passaient leur tour et qu’Elizabeth May détenait la balance du pouvoir?

Je sais ce qui se passerait. Il y aurait une autre élection pas moins de huit minutes plus tard, parce qu’il ne faudrait pas plus de huit minutes pour parvenir à un consensus confirmant que personne ne veut voir les verts diriger le pays. Pas de manière générale et certainement pas sur la base d’un seul siège. »

J’ai pensé que vous aimeriez lire ma réponse, que le National Post a également publiée dans sa version électronique :

La vague verte australienne

Tandis que Kelly McParland méprise l’influence détenue par le Parti vert d’Australie – « De grâce! Depuis quand un seul siège est-il une “vague de popularité” qui se traduit par “une présence parlementaire sans précédent”? » – sa tirade fait abstraction du contexte et ignore les gains électoraux considérables réalisés par les verts australiens.

En réalité, c’est la deuxième élection en Australie où la crise climatique joue un rôle clé. Kevin Rudd a remporté les élections de 2007 en promettant de ratifier le Protocole de Kyoto et d’abandonner la position « georgebushiste » sur les changements climatiques du premier ministre sortant, John Howard. S’il avait respecté ses promesses dans le dossier des changements climatiques, il serait sans doute encore premier ministre aujourd’hui. Le rejet de sa structure de prix pour le carbone par le sénat australien a largement contribué à la chute de sa cote de confiance auprès des membres du parti travailliste. Le conflit de pouvoirs interne a permis à Julia Gillard, membre du caucus et membre du cabinet des travaillistes, de le remplacer au poste de premier ministre. En à peine quelques semaines, elle avait déclenché des élections nationales. Elle a toutefois commis une erreur de jugement monumentale en évaluant mal les désirs des Australiennes et des Australiens : son programme électoral ne comportait aucun engagement dans le dossier des changements climatiques – une erreur qui lui a coûté cher.

Les travaillistes ont rapidement dégringolé aux urnes. Avec le vote préférentiel à la chambre basse, les verts ont remporté 11,75 % des votes au premier choix tandis que les travaillistes, jadis majoritaires, récoltaient 37,98 %. Aux élections de 2007, les verts australiens avaient récolté environ 7 %, soit à peu près le même nombre de votes que les verts canadiens lors des élections de 2008. Aux dernières élections les verts ont pratiquement doublé leurs appuis.

Certes, les verts ont remporté un seul siège à la chambre basse, avec Adam Bandt dans Melbourne, une circonscription où les travaillistes étaient les maîtres incontestés depuis 100 ans. Mais les verts ont également fait des gains au Sénat, où le très populaire chef des verts, Bob Brown, siège depuis 1996. Le sénateur Brown, à titre de chef de parti ayant siégé plus longtemps que tous les autres, est le doyen du parlement australien. Il est intelligent, vif d’esprit et très respecté pour ses positions fondées sur des principes dans de nombreux dossiers. Le sénat australien est élu en vertu d’un mode de scrutin préférentiel et ces élections ont permis au caucus vert de passer de cinq à neuf sénateurs. Au Sénat, les verts détiennent la balance du pouvoir. À la chambre basse, l’engagement d’Adam Bandt à collaborer avec les travaillistes plutôt qu’avec la coalition libérale/nationale fut un facteur déterminant dans les négociations ayant conduit à un gouvernement de coalition formé des quelques indépendants, des verts et des travaillistes.

Kelly McParland suggère que tout gouvernement formé avec des verts ne résisterait pas plus de « huit minutes ». Ce genre d’affirmation biaisée ignore totalement les faits. Des députés verts ont formé de nombreuses coalitions qui ont gouverné avec succès de nombreux pays dont la Suède, l’Irlande (actuellement), la Lettonie, la Finlande, la France, le Danemark, l’Estonie, l’Italie, la Belgique et, comme tout le monde le sait, l’Allemagne. La coalition allemande verts/sociaux-démocrats a gouverné le pays beaucoup plus longtemps que huit petites minutes. En fait, les verts ont contribué à diriger le pays pendant sept ans, soit de 1998 à 2005, favorisant la mise en œuvre d’une stratégie sur l’énergie renouvelable, qui a mené à la création de plus de 300 000 nouveaux emplois en Allemagne, ainsi que la promulgation d’une loi imposant l’adoption d’un cycle de vie tenant compte du coût complet pour tous les produits de consommation, réduisant considérablement le volume de déchets solides et favorisant une réduction des produits chimiques toxiques dans les produits.

Oui, c’est vrai. Les verts canadiens aspirent au jour où nous aurons des députés à la Chambre des communes. Avec près d’un million de votes verts aux dernières élections, comparativement au 1,3 million de votes pour le Bloc, il est de toute évidence contraire au principe de démocratie que le Bloc détienne 49 sièges tandis que les verts n’en ont aucun. Néanmoins, nous ne sommes pas motivés par l’attrait du pouvoir. Au fil des années, d'autres partis politiques m’ont proposé des avenues beaucoup plus faciles pour accéder au pouvoir. Comme le mentionnait récemment le jeune député vert belge, Kristoff Calvo, dans le cadre de notre congrès national à Toronto : « Nous, les verts, nous intéressons au pouvoir des idées, pas à l’idée du pouvoir. »

Le pouvoir réside dans les idées dont l’heure est venue. L’heure est venue de remplacer l’extrême partisanerie de la Chambre de communes par un style de politique plus respectueux. L’heure est venue de mettre un frein aux manœuvres électorales sans fin, qui définissent aujourd’hui la culture politique canadienne, et de revenir à la civilité et à la coopération. Les Canadiennes et les Canadiennes ne font plus confiance aux partis de la vieille garde. Comme les verts australiens, nous reconnaissons que le fait d’ignorer la crise climatique nous fait perdre des occasions économiques en plus de précipiter l’assaut des catastrophes climatiques. Comme pour les dernières élections au Royaume-Uni, où la chef du Parti vert a remporté un premier siège pour la formation politique (malgré le système majoritaire uninominal), et en Australie, le Parti vert du Canada gagne des appuis et fait de nombreuses percées partout au Canada.

Entre temps, j’ai fait parvenir toutes mes félicitations à mon ami Bob Brown. En observant la politique australienne, j’ai le sentiment que nous aurons tout le loisir d’assister encore longtemps à la montée de la popularité du sénateur Brown.