C’est selon moi Terry Glavin qui a le mieux décrit le projet de loi omnibus sur le budget, le qualifiant de « mastodonte légal introduisant, modifiant ou annulant presque 70 lois fédérales » (Ottawa Citizen, 5 mai 2012, « Something’s fishy with Bill C-38 », en anglais).
Les Canadiennes et les Canadiens commencent à reconnaître que le projet de loi omnibus sur le budget, ou le projet de loi C-38, constitue un affront. Beaucoup d’éléments du budget n’ont jamais été abordés, alors que des éléments faisant prétendument partie du projet de loi ne s’y trouvent même pas.
Les aspects du budget lui-même, qui n’ont même jamais été abordés, comprennent le retrait de la surveillance du Service canadien du renseignement de sécurité et la modification du droit à l’assurance-emploi (cette mesure demeure vague, mais il semble qu’elle permette de refuser des prestations d’AE à quiconque si des emplois sont disponibles, même s’ils ne sont pas dans son domaine).
Presque la moitié du projet de loi d’exécution du budget est dirigé vers une refonte des lois environnementales canadiennes fondamentales. Le budget n’a jamais fait mention de la refonte de la Loi sur les pêches, du démembrement de la protection des habitats et de la restriction de l’action fédérale dans plusieurs circonstances en matière de pêches commerciales, récréatives et autochtones. Des rumeurs se sont répandues en raison de la fuite d'une note de service adressée au scientifique retraité du domaine halieutique Otto Langer [en anglais], mais le budget n’en faisait absolument pas mention. Le projet de loi C-38 alloue par contre une place importante à la révision générale de la protection de l’habitat des poissons. Si un être humain n’attrape pas un poisson, ce dernier ne jouit d’aucune protection de son habitat. Le budget ne contenait rien par rapport aux modifications de la Loi sur les espèces en péril, grâce auxquelles l’Office national de l'énergie (ONE) deviendrait responsable de permettre la destruction d’espèces en danger et de leurs habitats s’ils se retrouvent sur la route proposée d’un pipeline; pas plus qu’il ne faisait état de la supplantation de l’ONE en tant que juge concernant les pipelines en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables (LPEN). La LPEN a été modifiée de façon à ce que les pipelines ne soient plus considérés comme une obstruction à la navigation – même s’ils le sont en fait.
Il est évident qu’une plus grande attention a été portée sur « l’allègement » du processus d’évaluation environnementale, mais l’accent le plus manifeste est porté sur les limites de temps imposées aux audiences. Nulle part il n’a été question d’annuler la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Le projet de loi C-38 balaie la loi et introduit une toute nouvelle approche en matière d’évaluation environnementale.
Avec autant de nouvelles lois, mais aussi avec l’annulation d’anciennes lois et de textes législatifs complexes, les ministres conservateurs qui défendent en Chambre leur appui au projet de loi C-38 prétendent souvent que la Loi contiendra des mesures qui n’y sont tout simplement pas ou ils expliquent de manière erronée le fonctionnement des nouvelles lois.
J’ai entendu des députés et des ministres affirmer que la Loi renforçait la protection environnementale grâce à l’augmentation de la sécurité des pétroliers, mais cela ne se retrouve pas dans le projet de loi C-38. J’ai aussi entendu des députés et des ministres affirmer que la substitution de l’examen environnemental fédéral n’était autorisée que si la province possédait un « processus équivalent » ou, comme l’aurait expliqué la secrétaire parlementaire Michelle Rempel, si l’examen provincial était « égal ou supérieur ». Chaque fois que des membres de l’opposition posent des questions sur la nature monstrueuse du projet de loi omnibus, les propos des conservateurs contiennent une insulte gratuite du type : « Peut-être que si le membre de l’opposition lisait le projet de loi… »
Il serait rafraîchissant de voir l’un des conservateurs ventant les mérites du projet de loi avoir pris la peine de le lire. J’ai consulté un député conservateur pour lui demander où il avait trouvé les dispositions traitant d’équivalence et il m’a montré le sommaire du projet de loi et non pas un article applicable au point de vue législatif. Le sommaire affirme en effet que les processus doivent être équivalents, mais le projet de loi en lui-même n’en fait pas mention, tout comme il ne donne aucun autre critère objectif. Les dispositions permettant à un gouvernement provincial de signer une entente comme substitution à l’examen environnemental fédéral représentent une combinaison étrange de formules discrétionnaires et obligatoires.
Discrétionnaire : « … s’il estime que le processus d’évaluation des effets environnementaux suivi par le gouvernement d’une province… qui a des attributions relatives à l’évaluation des effets environnementaux d’un projet désigné serait indiqué, le ministre, sur demande du gouvernement de la province en cause, autorise la substitution de ce processus à l’évaluation environnementale. » (Article 32, page 51 du projet de loi C-38.)
Qu’est-ce qui ferait en sorte que le ministre considérerait une substitution comme étant « indiquée »? Ce terme n’est pas défini. Peut-être que le budget du ministère de l’Environnement est restreint. Peut-être que la province recherche un projet d’exploitation majeur et qu’elle souhaite approuver automatiquement et rapidement le projet. Rien n’est prévu pour écarter un exercice discrétionnaire qui n’a pas la capacité de justifier que la décision est « indiquée ». Une fois que le ministre en est arrivé à cette conclusion et que la province a demandé une substitution, il existe une obligation impérative de céder le rôle fédéral à la province.
Je ne suis pas convaincue d’avoir découvert tous les éléments alarmants du projet de loi C-38. Je ne peux pas, par exemple, comprendre pourquoi un article de la Loi sur les pêches est séparé par plus d’une centaine de pages des autres changements apportés à cette même Loi sur les pêches, et je ne peux pas non plus m’expliquer l'objectif des modifications échouées dans l’article « Allocation de poissons aux fins de financement » (page 289, article 411 de la Loi sur les pêches). Ils ressemblent en fait à un stratagème visant à vendre des poissons ou de l’équipement afin de financer les activités du gouvernement. Mais cela semble relativement étrange.
Je suis convaincue que le fait de rassembler tout cela dans un projet de loi d’exécution du budget lancé sur la voie rapide, avec attribution d’une période de temps pour les délibérations et se dirigeant tout droit vers le Comité des finances, représente une attaque directe à la démocratie parlementaire.