Lundi, je me suis réveillée au son de la voix de Jim Flaherty. Dimanche soir, j’avais pris un vol de nuit de la Colombie-Britannique jusqu'à Toronto et, après n’avoir pas fermé l’œil de la nuit, j'étais descendue au centre-ville à toute vitesse pour prendre le train de 6 h 50 en partance d’Union Station. Une fois confortablement installée dans le train, je m'étais endormie profondément. Décidément, des signes indéniables d’une rentrée parlementaire imminente s'étaient fait sentir tout au long de mon parcours. Sur le vol d’Air Canada, j’avais croisé Hedy Fry assise dans la classe affaires au moment de regagner ma place en classe économique. Et Jim Flaherty était bel et bien assis quelques rangées devant moi sur le train à destination d’Ottawa. Il parlait doucement dans son téléphone cellulaire lorsqu’il a demandé à être mis en contact avec Rona Ambrose. Je me suis souvenue du député néodémocrate Dick Proctor qui avait entendu par hasard le ministre libéral Andy Scott parler un peu trop fort sur un vol, ce qui avait causé tout un émoi dans les médias. Mais puisque l’écoute indiscrète n’a aucun attrait pour moi, je me suis rendormie bercée par la voix doucerette de Flaherty.
Le lendemain, Jim Flaherty avait résolument changé de ton. Lors d’une apparition devant le Cercle canadien d’Ottawa hier, le ministre des Finances donnait un discours aussi inapproprié que possible que les membres du Cercle canadien ne sont pas prêts d’oublier. Des gens qui ont entendu le discours de Flaherty ont affirmé que le ton méchant et ultrapartisan du discours les avait choqués. Ils s’attendaient à un exposé sur l’économie. À la place, ils ont eu droit à une tirade épique contre « une coalition dangereuse de Michael Ignatieff avec le NDP et le Bloc québécois ». Notez bien les termes choisis. Les conservateurs ont sûrement fait des sondages et mis sur pied des groupes de consultation pour cerner la phrase. Cette attaque contre la coalition a été reprise plusieurs fois pendant le discours, mais toujours en employant exactement les mêmes termes – soit en remplaçant « les libéraux », par « Michael Ignatieff ». L’ironie est de taille. Ignatieff est celui-là même qui a tué la coalition, qui a rompu sa promesse envers la coalition. Signée par tous les députés libéraux, la signature d’Ignatieff figurait à la toute fin du document. J’ignore qui l’a contraint à signer, mais ayant déjà eu l’occasion de discuter avec lui pendant les jours précédant la formation de la coalition, je peux vous affirmer sans hésitation qu’il n’en voulait pas.
Je crois qu’il avait tort. Dans notre système de gouvernement, les députés élus à la Chambre peuvent choisir un premier ministre. C’est ainsi que fonctionne la démocratie parlementaire. Nous l’avons bien vu au cours des derniers mois au Royaume‑Uni puis en Australie. Dans les deux pays, les résultats des élections étaient très éloignés d’une quelconque majorité. Les médias britanniques et australiens, au lieu d’annoncer un gouvernement minoritaire, ont parlé d’un Parlement « sans majorité ». Le Royaume‑Uni a vu émerger une véritable coalition. En contrepartie de l’appui des libéraux-démocrates au sein d’une vraie coalition, le conservateur David Cameron a convenu de procéder à un référendum national pour amener le pays à adopter un système de représentation proportionnelle. En Australie, les travaillistes se sont maintenus au pouvoir grâce à l’appui des verts et des indépendants. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une véritable coalition, on peut parler de coopération et de termes concrets pour lutter contre la crise climatique et maintenir Julia Gillard à la tête du pays.
Quand Jim Flaherty a brandi la menace d’une coalition, on se serait cru à nouveau en novembre 2008. À l’époque, la rhétorique de Stephen Harper avait pour seul objectif de diviser l'opinion. Il n’avait que les mots « socialiste » et « séparatiste » à la bouche – comme si certains députés légalement élus étaient moins légitimes que d’autres. Il ne ménageait aucun effort pour leur coller une étiquette de traître.
Et nous y revoilà. Pourtant, la coopération n’est pas une menace pour la Suède, le Royaume-Uni, l’Australie et l’Irlande, pas plus qu'elle ne l'était pour l’Allemagne, la France... la liste est longue. Mais au Canada, pas question. Le concept même d’une démocratie parlementaire qui fonctionne comme prévu est brandi comme étant la véritable menace.
Le discours de Flaherty semblait avoir été rédigé pour faire grimper les gens aux barricades. Les membres du Cercle canadien n’étaient nullement intéressés par ce genre de propos incendiaires. Le discours a eu l’effet d’une bombe.
Dernier petit détail – les gens ayant assisté au discours ont souligné que le cœur de Flaherty n’y était pas. Il a bien essayé ici et là d’adoucir le ton dur et sulfureux du discours avec quelques blagues judicieusement placées. Mais la méchanceté avait déjà passablement assommé l’auditoire. Les blagues de Flaherty se sont écrasées comme des pétards mouillés.
Attendez-vous à ce que cette manœuvre alarmiste au sujet de la coalition domine les prochaines élections. Et, si on se fie au ton employé par Flaherty dans son discours, attendez-vous à des élections bientôt.