L’équipe de relations publiques et de manipulation médiatique de Stephen Harper a atterri à Vancouver en mars dernier en proclamant avoir remodelé substantiellement les mesures de protection environnementales touchant les oléoducs et les pétroliers. Le ministre des Ressources naturelles Joe Oliver et le ministre des Transports Denis Lebel ont fait l’éloge de leur nouveau régime de protection contre les déversements d’hydrocarbures dans le décor évocateur du port de Vancouver. Le ministre Joe Oliver nous a débité une tirade remplie de clichés dénués de signification, auxquels nous semblons être résignés et qu’il nous faudra entendre encore et encore, voulant qu’un déversement comme celui de l’Exxon Valdez ne puisse jamais se produire au Canada.
Ce qui nous laisse pantois, c’est que les médias se sont en général laissés piéger, comme si quelque chose d’important venait d’être annoncé. Au même moment, un autre événement se produisait : un des navires d’intervention d’urgence en cas de déversement d’hydrocarbures qui devait s’amarrer dans le port à l’occasion de la conférence de presse s’échouait en cours de route. L’incident n’avait pas été médiatisé durant cette période. C’était pourtant la toile de fond idéale pour cet événement… qui n’en était pas un.
En fait, le budget de mars 2012 incluait presque tout ce qui a été annoncé à nouveau un an plus tard en mars 2013, notamment l’inspection des oléoducs et une nouvelle réglementation pour les pétroliers. L’annonce a non seulement été récupérée du budget 2012, mais les nouvelles mesures ont été présentées à plusieurs reprises comme faisant partie du projet de loi omnibus C‑38 sur le budget, un projet de loi de 400 pages que personne, pensait‑on, ne prendrait la peine de lire. Peut‑être, d’ailleurs, ne l’avaient‑ils pas lu eux‑mêmes, si l’on en juge par les propos claironnés par le ministre Oliver à la Chambre des Communes : « Monsieur le Président, le projet de loi prévoit de nombreuses mesures de protection de l'environnement [...] les pétroliers devront avoir une double coque. Il y aura des zones de pilotage obligatoire, des systèmes améliorés de navigation et de la surveillance aérienne. D'autres mesures seront prises au besoin, selon les circonstances. »
Rien de tout cela ne se trouvait dans C‑38, comme il l’a lui‑même reconnu le 18 mars 2013 dans une annonce. J’imagine qu’il devait se demander d’où lui était venue cette impression si forte de déjà‑vu.
Tout ce qu’il y avait de nouveau à la conférence de presse de Vancouver était la formation d’un comité d’experts sur la sécurité des pétroliers et sur les risques de déversement impliquant le bitume et les diluants. Comme l’ensemble de l’audition du comité d’examen conjoint d’Enbridge portait sur le pétrole brut, produit qu’Enbridge ne prévoit pas expédier par mer, il vaut assurément la peine de chercher à comprendre comment le bitume et les diluants réagiraient si un déversement se produisait.
À la conférence de presse, Joe Oliver et Denis Lebel ont annoncé fièrement qu’ils avaient déposé en première lecture la Loi visant la protection des mers et ciel canadiens. Je l’ai cherchée afin de la lire. L’introduction à la première lecture était une coquille vide. Encore une fois, j’ai été déçue. Le projet de loi n’est ni plus ni moins qu’une série de mesures administratives. La section sur la « surveillance aérienne » se rapporte à l’aviation et à l’aéronautique : changements aux inspections d’accidents d’avion et aux indemnités aéronautiques. Aucune allusion à l’aspect environnemental jusqu’ici. Viennent ensuite les amendements touchant les « mers ». La Loi maritime du Canada sera modifiée afin de changer la date d’approbation d’un nouveau directeur d’une autorité portuaire. Les seuls éléments ayant un rapport avec le déversement d’hydrocarbures se trouvent dans la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Cette Loi sera modifiée de manière à se conformer à la Convention internationale sur la responsabilité et l'indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses. Rien, donc, sur les pétroliers à double coque.
En réalité, depuis 1993, tous les nouveaux pétroliers doivent, en vertu d’une convention internationale, être dotés d’une double coque. Mitch Anderson a rédigé un article formidable sur cette question le 27 septembre 2010 dans The Tyee : « No, Double Hull Tankers Do Not Ensure 'Total Safety' » [traduction : Non, les pétroliers à double coque ne sont pas « totalement sécuritaires»]. Nous y lisons que seulement 50 pétroliers sillonnaient les mers du globe cette année‑là. La permission d’entrer dans les eaux nord‑américaines n’a été accordée à aucun d’entre eux.
Les doubles coques éliminent‑elles le risque de déversement d’hydrocarbures? Malheureusement non. En dépit de l’exubérance de la rhétorique de Joe Oliver, les doubles coques ne possèdent pas de pouvoirs magiques; leur apparition n’a pas fait disparaître le risque d’accidents et de déversements; les collisions avec des barges et des cargos ont provoqué des déversements de millions de litres d’hydrocarbures dans les ports du monde entier; les doubles coques peuvent être éventrées, laissant ainsi les hydrocarbures se répandre librement.
Le site Web de Transport Canada avait fait peau neuve pour cette annonce, un « feuillet d’information » transparent créant l’impression que des centaines de superpétroliers longent la côte de la Colombie‑Britannique de façon routinière.
Voici certaines allégations de Transport Canada que l’on trouve sur son site Web :
- des pétroliers se déplacent régulièrement et sécuritairement le long de la côte ouest du Canada depuis les années 1930;
- en 2009 et 2010, 1500 mouvements maritimes de pétroliers ont été enregistrés le long de la côte ouest du Canada…;
- un moratoire fédéral sur les activités effectuées au large de la côte de la Colombie‑Britannique vise uniquement les activités d’exploitation et de mise en valeur du pétrole et du gaz naturel et non le stockage des hydrocarbures ou la circulation des pétroliers
En réalité, le moratoire de 1972 s’opposait précisément à la circulation des pétroliers le long de la côte de la Colombie‑Britannique. Il s’agissait d’un moratoire fédéral‑provincial. La plupart des lecteurs n’auront pas décelé la subtilité de la référence au « moratoire fédéral ». De surcroît, les 1500 « mouvements » de pétroliers se réfèrent à « chaque fois qu’un navire (ou un bâtiment) commence ou cesse de faire route. Le terme “faire route” s’applique à tout navire qui n’est ni à l’ancre, ni amarré à terre, ni échoué ». En 2011, le nombre total de pétroliers qui sont entrés et sortis du port de Vancouver s’élevait à 82. Aucun n’était un superpétrolier et aucun ne naviguait sans risque.
Il est étonnant que dans l’actuelle guerre des mots ayant pour enjeu la présence dans nos eaux des superpétroliers transportant du bitume brut, aucun média n’ait fait remarquer l’absence de toute nouveauté ou de tout élément d’importance dans l’annonce faite par Joe Oliver.
Publié à l’origine dans le Hill Times.